Du haut de ses quatre ans et demi, mon Lutin méprise le clivage stéréotypé que la société impose aux jouets quand elle encourage les filles à jouer à la poupée dans un monde so girly et les garçons aux warriors de l’espace. Depuis sa naissance, j’essaie de proposer à mon fils un large panel de jeux qui respectent ses goûts pour ne pas créer de frustrations au nom de conventions qui donneraient un rôle normatif aux jouets (chers lecteurs, merci de ne pas vous endormir dès le premier paragraphe). Lutin joue donc avec tout ce qui lui plait, sans se poser de questions, prenant les jouets pour ce qu’ils sont : juste des jouets et pas des instruments de sexualisation. Oui mais voilà, le hic c’est que j’ai parfois l’impression de nager à contre-courant au pays du mercantilisme infantile et à la longue ça commence à sérieusement me titiller le bulbe (coucou esprit de noël) !
A l’écoute de ses envies et rien d’autre !
Dans le genre petit garçon modèle tout bien comme il faut, Lutin collectionne voitures, garages et circuits qu’il bichonne avec amour. Pompier averti (surtout en matière de sirène stridente) ou maître constructeur (à sa façon) de la petite brique danoise, mon touche à tout, éleveur de dinosaures à ses heures perdues, est toujours prêt à dégainer ses outils ou à enfiler sa blouse de docteur pour soigner les hypocondriaques que nous sommes.
Mais s’il adule Sam le pompier, rêve de Buzz l’Eclair et se verrait bien chef de gare sur l’île de Thomas et ses amis voire preux chevalier d’une époque révolue, vous perdriez votre temps à le brancher sur Spiderman, Transformers, Lego Ninjago et autres super héros super violents (sauf Batman et Jocker depuis que Chéri Chéri à la testostérone débordante sauve le monde sur sa console). Les « méchants » l’effraient encore et quand il voit des personnages Avenger, il les ignore, remarquant au passage qu’ils sont bien moches (vous noterez le gène du bon goût, c’est de famille).
Mon petit homme préférera vous mitonner des plats aux saveurs improbables ou bien vous aider à faire le ménage, surtout si le dieu aspirateur fait partie de la fête. Et comme Lutin aime particulièrement imiter ses parents, il câline son kiki, l’habille, le gronde parfois, l’emmène à l’école, le soigne ou le jette en l’air en le lançant par la queue et le fait parler avec une voix haut perchée. Autoproclamé « petit papa » de sa bestiole poilue (il parait que je suis la mère du machin mais là c’est un autre sujet), il semble heureux de satisfaire son besoin de nous imiter, d’inverser les rôles pour se projeter et exprimer des sentiments qui l’aident à grandir.
Pour préserver la richesse de jeux de mon enfant, j’essaie de faire preuve de suffisamment d’ouverture d’esprit afin de ne pas l’enfermer dans un carcan de jouets genrés qui limiterait ses intérêts, son imagination et sa créativité. Je revendique pour mon fils le droit d’aimer poupées et dinettes sans avoir à essuyer les quolibets malveillants : après tout, un papa impliqué qui s’occupe de son enfant est juste un papa moderne et nul ne remet en cause sa virilité. Et puis je ne vois pas pourquoi je réprimerais mon enfant s’il veut se mesurer aux plus grands chefs étoilés (version avant-gardiste cela va sans dire). Inversement, je ne veux pas qu’on y trouve à redire si Lutin décidait subitement de ne plus s’intéresser qu’aux corsaires de l’espace, n’en déplaise aux extrémistes en tous genres. C’est ma vision de la bienveillance en tout cas.
Pourquoi lui laisser accès aux jouets « de l’autre sexe » ?
Les experts médiatisés de la petite enfance sont à peu près tous d’accord pour dire que les enfants en maternelle s’intéressent tous aux mêmes jeux. Curieux, ils ont besoin de tout explorer et tandis qu’ils construisent progressivement leur identification sexuée, les jeux traditionnellement destinés au sexe opposé leur permettent de se construire une identité plus riche et plus nuancée (dixit le pédopsychiatre Patrice Huerre). Chaque jouet permettant à l’enfant d’acquérir ou de renforcer certaines compétences (sociabilisation, langage, motricité, affectivité, construction de repères spatio-temporels, etc.), plus les jouets seront variés et plus leur petit propriétaire sera en mesure d’acquérir de nouveaux apprentissages.
Et puis selon une étude menée pour le gouvernement canadien, s’en tenir aux jeux stéréotypés serait néfaste pour la santé mentale et physique des enfants. Les filles, influencées par l’image de poupées filiformes et de jeux centrés sur l’apparence physique dans un univers qui n’est pas de leur âge, seraient particulièrement exposées à des images irréalistes qui entraîneraient une insatisfaction de leur image corporelle et donc des troubles alimentaires. Quant aux garçons qui prennent pour unique modèle les super-héros forts, virils et dominants où manque la dimension de l’affectif, ils s’exposeraient au risque de vouloir reproduire des comportements nuisibles, sans compter que ces modèles parfaits peuvent affecter l’estime de soi de ces petits garçons aux capacités physiques naturellement limitées. Voilà, voilà, voilà… Et sinon, vous ça va ?
D’ailleurs, dans une fratrie mixte, la question du choix des jouets ne se pose même pas. Petite, je jouais aux voitures et au Meccano avec mon frère puis nous mélangions Barbies et Big Jim (je vous parle d’un temps que les moins de trente ans…) avant de jouer ensemble à la dînette ou aux billes sans que personne n’y trouve rien à redire. Ayant accès à tous les types de jouets, nous pouvions choisir notre jeu en fonction de nos envies du moment car l’important, c’était de jouer ensemble. Il me semble donc naturel de proposer des jouets « de l’autre sexe » à celui qui est seul à la maison ou qui est dans une fratrie d’un seul sexe.
Mais les stéréotypes ont la peau dure
Cette évidence semble avoir échappé à la plupart des fabricants de jouets et de leurs revendeurs. Je fulmine de voir encore à l’approche de noël 2016 des supermarchés aux rayons de jouets roses pour les filles et bleus pour les garçons. On n’encourage pas la liberté de choix des enfants. Les princesses, les ménagères et la maternité contre l’aventure, la violence et les vaisseaux spatiaux… Quelle belle représentation sociale ! Même Lego et Playmobil, si longtemps unisexe dans leurs jouets, sont rentrés dans le camp des genrés.
Le sexisme, nouveau dada du consumérisme ?
Chez Lego, quand on est une fille, on aime un peu l’aventure en forêt mais surtout les animaux, la fête, le shopping, et glander à l’hôtel avec ses amies pendant les vacances. Tout est luxe et paillettes dans un monde rose bonbon. Pendant ce temps chez les garçons, on est au taquet pour anéantir les méchants, bâtir des villes ou explorer le monde. Et partout ailleurs, le modèle se reproduit : la reine des neiges et Hello Kitty contre star war et Pat’Patrouille se retrouvent jusque dans les jeux de société qui étaient auparavant unisexes. Ce microcosme du monde des jouets est bien plus stéréotypé que la réalité, un comble !
Et ben vous savez quoi ? La classification genrée des jouets serait une invention relativement récente (tout est résumé ici). Sous couvert de répondre aux vieux clivages de genre véhiculés par la société, ce n’est que depuis le milieu des années 90 que les fabricants de produits jeunesse développeraient en réalité la segmentation sexiste des jouets au nom de l’impitoyable loi du marketing qui recommande de multiplier les cibles pour augmenter d’autant les ventes (diables que ces commerciaux). Simple logique, plus on crée de populations distinctes et incompatibles entre elles, plus on incite les parents à acheter des produits spécifiques à chacun de leurs enfants. Et plus question que la grande sœur passe ses Lego au petit frère : mélanger c’est le mal alors on rachète pour ne pas risquer de projeter son enfant dans un univers « sexuellement incorrect ».
Et pourtant, les jouets eux-mêmes ne sont pas sexués dixit Mona Zegai, doctorante en sociologie à l’Université Paris VIII : « ce sont les signes distinctifs périphériques, comme la couleur, les photos, les formes, les postures ou le style d’écriture sur les boîtes qui les stéréotypent ».
Mais si les faiseurs de loisirs infantiles ont si bien réussi leur tour de force mercantile, c’est parce que les préjugés qui alimentent les schémas passéistes ont la peau dure…
Des préjugés, encore et toujours
Les mythes et les croyances du pouvoir de sexualisation des enfants via leurs jeux ou leurs pratiques sportives persistent. Et ce ne sont pas les affligeantes moqueries homophobes de certains internautes réagissant au récent tweet d’un papa révélant que son petit garçon désirait une poupée pour noël qui diront le contraire ! Et pourtant, les spécialistes sont encore une fois unanimes : rien ne dit que ses jeux d’aujourd’hui aient une répercussion sur la future identité sexuelle de l’enfant. Comme le souligne un de mes amis pédiatre, peu importe les jeux des enfants, le plus important c’est qu’ils ne confondent pas leur identité avec leurs jeux. En somme, les enfants ne sont pas du genre neutre mais les jouets oui ! D’ailleurs ces fameux préjugés viennent des adultes et pas des enfants : si un petit garçon s’amuse à marcher en équilibriste avec les escarpins de sa maman, restons zen car après tout il ne fait que jouer (sauf si ce petit fou se jette sur THE paire de Louboutin !). L’identité sexuelle se construit en observant les particularités physiques des personnes qui entourent l’enfant mais surtout dans l’éducation : selon Gilles Brougère, professeur des sciences de l’éducation à Paris XIII « L’identité d’un jouet est secondaire, car elle ne dit rien ni de son usage réel. Ce qui importe est la manière dont les parents investissent le rôle de l’homme et de la femme. La différenciation du genre est majoritairement induite par le cadre familial ».
Et une pression encore pire sur les petits garçons
Dans ce dur combat pour s’affranchir des conventions en matière de jeux, les petites filles semblent avoir pris une longueur d’avance, une fois n’est pas coutume, selon une étude réalisée en 2004 pour Fisher-Price. Une petite fille « garçon manqué » qui ne s’émoustille que devant une perceuse, un garage (rose faut pas déconner non plus) ou un déguisement de pompier flatterait ses parents par son tempérament de battante. Mais l’inverse serait plus difficile à digérer : les petits garçons peuvent jouer avec des jouets de filles mais pas trop, il faut bien veiller à mixer les genres, et puis pas avec n’importe quel jouet et seulement si son comportement dans le jeu reste un minimum masculin. La poupée est encore tabou dans les jeux masculins sauf si elle est décapitée par un honorable petit guerrier.
Les mentalités évoluent quand même doucement
Nombreux sont les jouets en bois qui me semblent résister à la pression marketing en demeurant unisexes (et un point de plus pour ces jolis jouets !). Les dinettes et cuisines sont également de plus en plus asexuées avec des couleurs vitaminées, modernes et pleines de peps ! Certaines marques comme Tim et Lou proposent d’ailleurs toute une gamme de jouets d’imitation (tâches ménagères et bricolage) adaptée aux deux sexes comme cette cuisinette.
Certaines enseignes font aujourd’hui l’effort de proposer des catalogues de jouets ou des sites web beaucoup plus neutres. Je pense notamment à Oxybul qui présente ses jouets par tranches d’âges et par thèmes plutôt que par genre. On peut du coup parcourir les thèmes sans se retrouver assigné à une partie seulement des possibilités. C’est d’ailleurs chez eux que j’ai acheté la première cuisine portable de Lutin et de nombreux accessoires pour la compléter par la suite.
Dans certains pays, les parents s’organisent même pour lutter contre le sexisme dans les jouets. C’est le cas de la Grande Bretagne qui, avec sa campagne « Let toys be Toys », répertorie les bonnes pratiques et attribue un award aux enseignes non sexistes.
Quant à moi, je suis fière de mon petit garçon bien dans sa peau et qui s’intéresse à tout plein de choses. Je pense qu’il n’existe pas de bons et de mauvais jouets. J’essaie de lui ouvrir le champ des possibles pour ne pas lui fermer de portes dans son jeune univers, en conservant comme seule priorité, son épanouissement à la maison et en société !
Claire Rêves de fripouilles a écrit
J’ai beaucoup aimé lire ton article ! Je suis totalement d’accord avec toi ! Les dictats du marketing genré n’aident pas les petits garçons et les petites filles à se sentir bien dans leur peau et dans leurs choix de jeux ! Ce sont aux parents d’oser leur dire oui malgré la pression des codes de la société et le regard des autres !
J’ai justement acheté hier un livre sur un petit garçon qui veut faire de la danse et qui danse tout le temps, au début ses copines (pcq il n’y a que des filles) au cours se moquent de lui et ses parents se demandent ce que vont penser les autres… mais finalement tout le monde est plus heureux en faisant ce qu’ils aiment donc on le laisse danser !
J’aime acheter des jouets à mes enfants (3 filles et 1 garçon) mais globalement ce sont des jouets pour tous les 4 je réfléchi à ce qu’ils aiment et pas à leur sexe! Mes enfants jouent à la poupée, aux voitures, à la cuisine et aux legos … tout ce qui peut éveiller leur imagination ! Nous n’avons pas la TV donc nous ne sommes pas influencé par les pubs…
Je vais partager ton article !!
Belles fêtes
Claire
Lucie-Rose a écrit
Ah merci pour ce soutien ! J’ai l’impression qu’en 2017, les marques sont plus genrées que dans mon enfance alors que les parents sont plus ouverts d’esprit ! Un paradoxe bien triste pour les enfants. Je suis preneuse du titre du livre que tu évoques !
Kimie a écrit
Je trouve effectivement que c’et beaucoup plus difficile pour un garçon de jouer à des jeux de filles que l’inverse. Je me souviens de mon neveu. Vers 3-4 ans, il adorait tellement passer le balai et l’aspirateur que ses grands-parents lui avait offert un nécessaire de nettoyage. Horripilation de la part du papa qui n’a jamais voulu ramener le jeu chez lui.
Alors qu’une petite fille qui joue à la voiture ou avec un établi de bricoleur, rien n’y trouve à redire.
A la maison, nous avons de tout, et comme le petit frère suit la grande soeur, il est fort probable qu’il jouera à de nombreux jeux « de fille » dans les prochaines années !
Lucie-Rose a écrit
Oui la pression est plus forte sur les petits garçons, vraiment dommage…
Mon Bazar Coloré a écrit
MERCI, MERCI, MERCI et MERCI aussi ! Ton article résume parfaitement (mais mieux écrit) ce que je pense^^ je m’insurge régulièrement contre les diktats de la société de consommation en matière de jouets. Non seulement je refuse comme la peste les jouets « licence » (coucou la mère un peu bornée), mais surtout, SURTOUT, j’ai envie de bouffer celui qui me dit que ça c’est un jouet de fille et ça un jouet de garçon alors que moi, je ne vois qu’un jouet neutre dont chaque enfant selon son âge, son histoire, ses besoins et ses envies s’qppropriera différemment. Je ne suis pas certaine que le sexe influe sur cela, parce que ça voudrait dire alors que Malo n’aurait pas la même manière de jouer avec sa poupée que sa sœur…
Bref, voilà donc pourquoi les catalogues de jouets à l’approche de Noël terminent leur course dans la poubelle des papiers sans passer par les cases maison et liste au vieux barbu ^^
Lucie-Rose a écrit
On est sur la même longueur d’ondes à ce que je vois ! J’ai quand même la chance d’avoir un entourage qui globalement comprend et accepte mon point de vue mais les catalogues de jouets et autres pubs me hérissent régulièrement le poil à l’approche de noël en sabotant l’éducation que je souhaite donner à mon enfant ! En revanche, j’ai un peu assoupli ma position sur les jouets sous licence, non pas que je les apprécie loin de là, mais l’école et son lot d’échanges entre copains crée aussi des envies auxquelles il est difficile de ne pas répondre sans créer une frustration. Ceci dit, cela reste anecdotique dans le flot de jouets de mon fils 🙂