Dans ma famille, il est de tradition de créer, chaque année pour célébrer noël, une grande crèche au cœur d’un village provençal mi-réel, mi-imaginaire dans lequel les santons, ces petits bonhommes d’argile uniques que l’on ressort pour l’occasion, prennent vie. Dans le froid de l’hiver, revit alors le pays de ma Provence natale, ou plutôt celui de la Provence d’autrefois.
C’est la nuit étoilée sur les collines, le ruisseau coule entre les rochers, le mas est blotti contre la haie de cyprès et l’étable – en Provence une bergerie – abrite moutons et agneaux du mistral dans un froid à faire tinter les étoiles. Ici commence le voyage au pays des santons, quelques part entre les collines de Judée et les dentelles de Montmirail…
Le décor : un mas dans un paysage agencé avec des éléments naturels
Dans les crèches provençales qui composent un village, l’étable est presque toujours en bas et tout le village descend vers elle pour mettre en valeur la scène de la nativité. Les moulins se disposent sur les collines, les lavoirs auprès des mares ou des ruisseaux, les fontaines ou les puits assez rapprochés du mas, les oratoires à la croisée des chemins. La crèche est parsemée de végétaux comme la mousse, le thym qui imite les buissons, les cyprès en terre cuite, des branches de pins et surtout d’olivier ou de cyprès qui sont des essences méditerranéennes, symboles de paix. Et puis, il ne faut pas oublier le blé (ou les lentilles) mis à germer à la Sainte Barbe le 4 décembre et qui se place devant la crèche après le « gros souper » de Noël. Il faut enfin installer l’étoile de Bethléem et la placer « au dessus de l’endroit où est l’enfant » nous dit Saint Matthieu.
Au cœur de la crèche provençale est la Sainte Famille
Les personnages bibliques sont la manifestation d’attachement aux traditions religieuses, comme pour toutes les crèches du monde. Il s’agit de représenter la nativité avec l’enfant Jésus, Marie (traditionnellement habillée en bleu et blanc depuis les apparitions de Lourdes et la description qu’en a donné Bernadette Soubiroux) et Joseph (vêtu de teintes brunes pour montrer qu’il est un être de la terre).
Le bœuf et l’âne gris apportent soutien et chaleur au nouveau né : l’un représente le dur travail de la terre tandis que l’autre, l’ignorance enfin vaincue par la tendresse et la douceur. Les anges, il en faut au moins un au dessus de l’étable, personnifient la volonté divine et portent la main sur le cœur pour attester qu’il disent la vérité. La foi méridionale aborde noël comme une fête de famille car un Dieu-enfant n’est pas impressionnant et se célèbre donc dans la tendresse et la simplicité. Mais cette référence religieuse est essentielle pour que la crèche ne soit pas simplement une présentation de scènes de la vie provençale.
Les Rois Mages
Ils ne sont rois que depuis quelques siècles. A l’origine, c’étaient des mages perses, des prêtres purificateurs… Depuis qu’ils sont rois, ils portent une couronne et sont habillés somptueusement.
La tradition est de placer leur cortège dans le lointain et de les approcher de la crèche au fur et à mesure que le temps avance jusqu’à les présenter à l’enfant Jésus au jour de l’épiphanie afin qu’ils lui apportent de magnifiques cadeaux.
Les bergers issus des pastorales, ces crèches vivantes provençales
Les bergers sont aussi des personnages bibliques. Les santonniers les habillent comme dans la Palestine antique ou bien comme dans la Provence du XIXe siècle.
Le vrai berger provençal, celui vêtu d’une grosse veste, de grandes capes qui volent au vent et chaussé de sabots, s’agenouille avec respect et amour. Il se découvre pour déposer devant lui son agneau et s’apprête à couvrir le bébé avec son manteau. Pensez-vous, les tout-petits, il connait bien, enfant ou agneaux c’est la même chose : ça tête du lait et ça doit avoir bien chaud.
Les bergers sont des personnages mystérieux qui parlent peu mais savent beaucoup de choses de la nature, connaissant le secret des plantes et des étoiles.
Le peuple provençal
C’est le petit peuple des artisans et des paysans. L’entrée fracassante de ces personnages profanes du quotidien créés par les santonniers fait qu’une crèche devient une crèche provençale. La crèche se dégage ainsi du religieux sans toutefois le perdre. Simplement les hommes ordinaires y sont entrés avec leur caractère, leurs sentiments, leurs petits soucis du quotidien et leurs coutumes.
Parmi eux, se distingue le boulanger qui porte sa hotte de pain sur l’épaule, comme autrefois lorsqu’il livrait à domicile. C’est l’artisan le plus indispensable du village parce que le pain a été, des siècles durant, la base de la nourriture. Puis vient le meunier, avant le boulanger dans la fabrication du pain mais après dans l’importance de la crèche, tout blanc de farine, et que l’on aime placer près du moulin.
Les porteurs de présents divers rappellent le souvenir d’un certain art de vivre en société naguère. Il n’est pas question de rendre visite à un nouveau-né les mains vides. Leurs présents modestes, souvent des produits alimentaires, donnent une idée de la façon de se nourrir en Provence : l’un amène un cochonnet, l’autre une poule noire qui éloigne le malin, une autre encore des poissons ou de l’ail quand la niçoise portera des fleurs.
Les citadins créés par les santonniers marseillais au début du XIXe siècle prennent les traits des porteurs d’eau, de la poissonnière ou du marchand de vin par exemple. A leurs côté, le rémouleur ou le marchand de vieux chiffons sont des gens qui vont sur les routes et couchent dehors. Ce sont des gagne-petit dont on se méfie mais dont les services sont appréciés.
Il y a aussi les santons saisis en pleine activité comme le pêcheur, la lavandière ou les paysans qui occupent des coins de décor spécialement aménagés pour eux.
Les santons issus des pastorales
Ils sont devenus au fil du temps des archétypes. Profondément humains, ils apportent une richesse incomparable. Je vous en présente quelques uns…
Le couple de vieux qui se donne le bras et que l’on surnomme Grasset et Grasseto. Ils représentent les anciens, les aïeux de la famille.
Roustido et Jourdan sont des bourgeois coiffés d’un chapeau claque, signe de leur classe social, peu représentés dans la crèche où il y a plutôt des petites gens qui portent des bonnets ou des chapeaux plus modestes. Ce sont de vieux amis qui figurent la solide amitié masculine : le premier est célibataire quand le second est marié à une femme acariâtre Margarido. La voilà justement sur son âne, cette maîtresse femme au mauvais caractère qui secoue son mari et arrive au pas pour faire admirer ses beaux vêtements en dentelle. Pourtant, elle a le cœur sur la main et apporte un panier chargé de victuailles… Alors devant l’enfant dans ses langes, devant tant de douceur et d’amour, elle reste muette d’admiration et, prise de tendresse, elle regrette d’être si brusque avec Jourdan, lui prend la main et lui sourit. Après tout, ce n’est peut-être pas de sa faute s’ils n’ont pas eu d’enfant !
Pistachié et Bartoumiéu sont des valets de ferme, comiques et qui accumulent les gaffes. Aimant bien manger et boire, ils apportent des paniers débordant de provisions. Ils expriment la joie de vivre et la simplicité. Le ravi est aussi un valet de ferme mais il ne parle pas, non parce qu’il est muet mais parce qu’il est au-delà de la parole. Les bras au ciel, il ne sait plus où il est. Dès le moment où il a vu l’enfant Jésus dans sa crèche, il a vu le paradis.
Des santons toujours choisis par « coup de cœur »
Chaque santonnier a son identité propre et je trouve dommage de se priver de styles différents. Ainsi, les santons Carbonnel sont très minutieux mais ils sont classiques. Flore propose au contraire des santons originaux avec ici une femme enceinte accompagnée du mauvais garçon et là un dormeur grassouillet qui choque à côté du vieillard rachitique faisant l’aumône.
Chaque crèche est unique !
Une crèche n’existe que si elle est vivante et pour être tout à fait vivante, elle doit être le reflet de notre propre histoire, de nos souvenirs heureux ou malheureux, de notre passé. Le choix des santons et des décors est un mode d’expression et c’est pourquoi il est important de la raconter car celui qui la regarde ne perçoit pas tout ce que son créateur y a mis de lui-même.
Pour résumer, il y a d’abord les sujets bibliques qui font qu’une crèche est une crèche. Et puis il y a les santons de la crèche provençale et enfin les santons qui nous tiennent à cœur et font que cette crèche est la nôtre. C’est là que j’y intègre des santons rigolos ou originaux comme la vendangeuse qui dévoile ses charmes, le vendeur de vin ivre, la femme qui se noie, le bohémien voleur d’enfants ou le petit « Rémi fait pipi » !
Mes santons sont le reflet de mon histoire comme mon mariage représenté par le vieux couple d’amoureux ou la naissance de mon fils évoqué par un bébé. La crèche devient ainsi mon jardin secret.
Et dans ma crèche, il y a aussi un peu d’Italie…
Voici mes santons ramenés de Naples, introuvables en France. Evidemment, il y a le Pizzaiolo mais aussi la marchande d’oies.
Plus baroque, voici deux bergers qui me rappellent étrangement Rémi sans famille et son maître Vitalis.
Mais mon santon italien préféré reste Pulcinella, un personnage qui symbolise le petit peuple napolitain qui se rebelle avec ironie face aux abus de la bourgeoisie. C’est un domestique rusé, paresseux et excessif. Pauvre et affamé, il utilise toutes les ruses pour survivre, tour à tour imposteur, voleur ou charlatan. Mais il est aussi spontané et amusant. Ce santon, c’est un peu l’âme de mes ancêtres dans la crèche, et aussi le symbole que tout le monde a sa place dans la société.
Et vous, quelle est l’histoire de votre crèche ?
Maman Clémentine a écrit
Splendide, franchement je suis bluffée. Ici nous avons acheté les premiers santons à Lulu cette année : Jesus, l’âne, le boeuf, deux rois mages et, moins traditionnel, un père Noël. En tout cas ce que tu as fait est incroyable, je suis bluffée.
Maman raconte a écrit
Merci pour le compliment ♥ En Provence, c’est tellement naturel de construire de grandes crèches comme celle-ci que je me suis aperçue du côté « exceptionnel » de la mienne seulement au travers du regard des personnes habitant les autres régions, à Paris ou Lyon notamment.
Je ne savais pas qu’il existait des santons Père noël, c’est rigolo 🙂 🙂 🙂
mayette a écrit
J’aime beaucoup ton article, j’ai appris plein de choses sur les santons. On a commencé une crèche il y a quelques années avec Papa Cigogne. On a choisi les santons Escoffier parce qu’ils se trouvaient plus facilement chez nous. On en achète un par an donc notre crèche n’est pas encore très fournie! Mais je vais faire bien plus attention à leur histoire maintenant.
Maman raconte a écrit
Je fais ma propre crèche depuis 13 ans donc j’ai accumulé pas mal de santons et puis on m’en a aussi offert quelques-uns 🙂 Escoffier s’inspire souvent des santonniers plus traditionnels et des pastorales donc tu peux trouver chez eux tous les personnages que j’ai cités et bien d’autres encore… C’est d’ailleurs chez eux que j’avais acheté mes tous premiers santons quand j’habitais à Paris.
Mam'Zelle A a écrit
Wahou ! Tout ça c’est ta crèche ??? Elle est superbe ! Vraiment.
je rêve d’avoir une crèche avec des santons de Provence et je regrette de ne pas avoir acheté au moins les personnages principaux la dernière pois que nous y sommes allés il y a… quelques années de ça.
Ici on a une crèche moche, petite et complètement ridicule. Mais au moins elle y est ^^
En tout cas wahou pour la tienne
admin a écrit
Merci ! Grande ou petite, belle ou moche, l’important c’est que l’on mette un peu de soi dans notre crèche 🙂
WonderMômes a écrit
Ta crèche est superbe ! Chez nous aussi, on fait une crèche provençale et elle a une histoire. A l’origine, c’était celle de ma belle-mère, décédée 4 mois avant notre mariage. On a récupéré ses santons et chaque année, on en achète un ou plusieurs, des éléments de décor. C’est toujours mon mari qui l’a fait, je le laisse, c’est un peu comme un moment de communion avec sa maman… Les mômes savent que beaucoup de personnages étaient à Maminou <3
Maman raconte a écrit
Oh c’est une jolie histoire que celle de ta crèche !
Delaroche a écrit
Un conte de noel fort bien image par vos très nombreux santons
Je suis très envieux du Meunier sur son âne …. Quel est le fabricant de celui-ci …..
Merci de nous les avoir fait découvrir …..
Lucie-Rose a écrit
Le meunier sur l’âne est la création du santonnier Sauvat que j’ai découvert sur la foire aux santons de Caderousse (dans le Vaucluse). C’est à mon avis l’un des santonniers les plus originaux de sa génération. On peut découvrir ses créations sur son blog http://www.santonsauvat.blogspot.fr