Mes racines sont en Italie, un pays qui conserve une place toute particulière dans mon cœur. Là-bas, je m’y sens bien, « come alla casa » et j’y retourne aussi souvent que possible. La langue, la culture, les traditions, les arts, la gastronomie, j’aime tout dans l’Italie. Alors j’ai eu envie de m’échapper quelques instants de mon rôle de maman, juste le temps de vous faire découvrir mon autre pays… Et parce que j’aime les défis, je voudrais commencer notre promenade par la moins consensuelle des destinations italiennes : Naples.
J’ai presque hésité avant de visiter Naples. « N’y pense même pas » me disait-on avec un rictus de dégoût : c’est sale, nauséabond, bruyant, rempli d’ordures et en plus, tu risques de te faire écraser par tous ces chauffards. Et puis il y a la mafia qui guette aux coins des rues. D’ailleurs, planque ton portefeuille et ton appareil photo si tu ne veux pas te faire détrousser, laisse tes bijoux à l’hôtel et reste sur les grandes artères, ne te promène pas la nuit et blablabla et blablabla et blablabla. La litanie des recommandations n’en finissait plus.
Pourtant le poète Goethe disait au XVIIIe siècle « voir Naples et mourir ». Depuis c’est devenu la devise des Napolitains, c’est dire s’ils sont attachés à leur vieille cité âgée de presque trois mille ans. Alors un jour, tel le soldat Ryan, j’ai osé mettre les pieds dans cette capitale de la Campanie si particulière que seul un cœur napolitain peut animer.
Ok, j’avoue le scooter c’était pas à Naples mais sur l’île d’Ischia qui lui fait face, juste à côté de sa petite sœur Capri. Je vous en parlerai une prochaine fois…
Et là surprise !
D’abord je n’étais pas la seule dingue à m’aventurer dans la cité diabolique puisque le port de Naples est le deuxième port de voyageurs au monde. Bon, c’est vrai les abords de la gare ne sont guère reluisants. Quant à la banlieue visible depuis le train, n’en parlons pas, c’est la misère ! J’ai donc consciencieusement tout planqué dans mes poches. Pourtant au fil de ma promenade napolitaine, les couleurs chamarrées, les milles petits métiers, les familles au grand complet superposées sur un même vespa, les marchés regorgeant de citrons et de pastèques, les petits vendeurs de breloques m’ont transportée dans un pays que nulle part ailleurs en Europe je n’avais encore vu…
Alors oui, c’est vrai que Naples est malheureusement gangrenée, étranglée par la Camorra et que la circulation y est bruyante et chaotique. Des embouteillages monstres, des concerts de klaxonnes actionnés avec rage, des infrastructures qui laissent à désirer, un code de la route qu’ignorent royalement les Napolitains qui, pendant qu’ils se demandent s’ils doivent ou non respecter ce feu rouge au coin de la rue, le brûlent comme ça, par habitude. On dira donc qu’à Naples, les panneaux de signalisation routière revêtent un aspect facultatif, voire décoratif. Et Pourtant les accidents graves sont plutôt rares, sans doute est-ce là un miracle de San Gennaro, le patron et protecteur de la ville.
Voici le buste de San Gennaro : le premier dimanche de mai et le 19 septembre, son sang conservé dans des ampoules au Duomo se liquéfie depuis la fin du XIVe siècle. Si le miracle ne se produit pas, on dit qu’une catastrophe est imminente.
Et puis il faut bien avouer qu’à Naples, on cultive le laxisme. Un exemple ? Quand les éboueurs traînent des pieds pour ramasser les poubelles qui débordent dans les rues alors même qu’ils ne sont ne sont pas en grève. Mais réduire Naples à ces fléaux, c’est faire offense à ce peuple par ailleurs si joyeux, accueillant et raffiné.
Un patrimoine culturel exceptionnel
Naples porte en elle son riche passé : la sagesse de la Grèce, l’art de vivre de la Rome antique, la douceur angevine, l’éclat byzantin, la magie de l’orient, la splendeur espagnole et la fierté des Bourbons. Construite dans l’anarchie au fil des siècles, c’est presque un miracle que la capitale de l’antique royaume des Deux-Siciles tienne encore debout… De toutes ces conquêtes, il reste des vestiges qui font de Naples un haut lieu de culture auquel l’Unesco a rendu hommage en classant son centre historique au patrimoine mondial de l’humanité en 1995.
Naples présente des perles d’architecture comme le Castel Nuovo construit par Charles d’Anjou (ci-dessous) ou le luxueux Palazzo Reale imaginé par les vice-rois espagnols.
Et sur cette terre de piété, il y a aussi une armée d’églises démesurées flanquées de petits angelots. L’imposant gothique côtoie le baroque le plus resplendissant.
Eglise des Clarisses, Santa Chiara, située juste à côté des deux couvents du même nom.
Le magnifique Duomo édifié à la fin du XIIIe siècle.
Naples aime partager sa culture, des ruines d’Herculanum, la petite sœur de Pompéi, au musée archéologique national qui recèle l’une des plus riches et des plus belles collections d’antiquités du monde, sans oublier le palais Capodimente qui regorge de Titien, Bellini, Botticelli, Le Caravage ou encore Goya à donner le vertige.
Fresque de Pompéi au musée archéologique : jeune fille tenant tablettes et stylet
Et puis, dans le silence de la chapelle San Sansevero, il y a un trésor que les Napolitains vénèrent plus que tout, la figure irréelle d’un « Christ voilé », une sculpture troublante de Giuseppe Sanmartino. Un Christ unique, transfiguré par la Passion quand son linceul devient comme une seconde peau tragique. La sérénité dans la mort, le calme après le drame.
A ses côtés pour le veiller, une figure de la pudeur… hum, hum, pas vraiment pudique, jugez-en par vous-même !
Mais Naples n’est pas qu’une procession d’œuvres d’art. Traversée par 150 générations, c’est aussi une nation dans la nation, décimée par les épidémies et les conquêtes brutales, et brûlée par les explosions volcaniques. Naples a grandi en empilant ses constructions par manque d’espace. Des bâtiments inégaux en tuf se sont développés de façon chaotique, en amphithéâtre face à la mer, toujours plus haut pour gagner le soleil. Sous ses pieds, un gruyère de huit millions de mètres cubes, des galeries de pierre gigantesques qui remontent à la fondation même de la ville. C’est grâce à la souplesse du tuf, une roche calcaire et friable qui résiste aux tremblements de terre que Naples ne s’est pas écroulée.
Comprendre Naples pour l’aimer
C’est dans la rue que Naples révèle ses secrets. Inutile de déplorer l’atmosphère saturée, la saleté, les trottoirs de marbre cassé, les façades rongées par la végétation ou les palais fermés au public faute d’argent pour les restaurer. Le spectacle est justement dans les souillures et les excès de cette rue, dans les odeurs de poisson et d’ail qui se dégagent des fenêtres, dans le flot de décibels des colonies de vespas suicidaires, dans ces sombres ruelles étroites et poisseuses qu’illuminent des Madones en plastique ou des icônes de Padre Pio installées dans des oratoires de fortune ornées de petites loupiotes qui brillent la nuit. Les ruelles regorgent de ces chapelles devant lesquelles il faut se signer et d’objets à toucher contre le mauvais œil. Même le footballeur Maradona, véritable dieu vivant, possède sa chapelle depuis qu’il a gagné le Championnat d’Italie pour Naples. C’est kitsch à souhait mais tellement vivant !
Ici un bric-à-brac encombrant une impasse dans la pénombre et là des linges chatoyants suspendus aux fenêtres d’une venelle. La scène est délabrée et pourtant elle est grouillante de vie. Ville théâtrale si pauvre et si joyeuse en même temps, à l’image de sa mascotte affamée Pulcinella. Les éclats de voix remplacent la lumière du soleil. De vieilles dames en noir montent la garde à leur fenêtre grande ouverte, les mamma s’interpellent depuis leur balcon surchargé de linge et de vieux appareils rouillés tandis que leurs rejetons jouent au ballon au beau milieu de la circulation et que les aînés tapent la belote devant les immeubles.
Cet art de vivre dans la rue parce que les maisons sont trop petites et de s’entraider entre générations rassemble les Napolitains comme une grande famille. Ville indisciplinée qui ne reconnait que l’autorité céleste, ses rites et ses processions bouleversent l’étranger de passage. Les Napolitains sont fiers de leur cité qui a tant donné à l’humanité au chapitre des arts. Berceau de Caruso, Naples est le bastion des artistes lyriques, notamment les castras, et des chants populaires au son de la mélancolique mandoline. Naples a inventé le théâtre mais Naples est un théâtre à ciel ouvert où l’on joue la comédie autant que la tragédie. On jurerait que le temps s’y est figé il y a un demi-siècle. Les anciens y hument un doux parfum d’enfance tandis que les plus jeunes s’émerveillent devant une époque qu’on croyait révolue en Europe. Et si le chaos est généralité à Naples, une chose est stable depuis des générations : la cuisine, raffinée d’un côté et populaire de l’autre. Les traditions culinaires y sont si importantes qu’on a instauré des appellations d’origine contrôlée pour la mozzarella au lait de bufflonne et pour la pizza napolitaine qui se mange avec la main.
Voilà la véritable pizza napolitaine : des anchois, quelques olives, des câpres, un peu de tomate, une touche d’huile d’olive et des herbes.
Naples est aussi la capitale des pâtes, pas chères et nourrissantes. Mais pour le Napolitain, se nourrir à bon marché ne veut pas dire « se nourrir triste ». Macaroni vient d’ailleurs du grec makarios qui signifie heureux. Alors il invente des sauces, beaucoup de sauces.
Naples est la moins consensuelle des destinations italiennes. Elle est surprenante, agitée, polluée, crasseuse mais elle est captivante avec ses verrues et ses taches, les mêmes qui ont rendu Montaigne amoureux de Paris à une autre époque. Certains comme Stendhal, trouveront que Naples est la plus belle ville du monde, et d’autres ne parviendront pas à apprivoiser cette ville bouillonnante.
Mais une chose est sûre, la séduisante et rebutante Naples ne laisse personne indifférent. Quant à moi, j’ai aimé Naples dès notre première rencontre, puis j’y suis retournée avec Chéri Chéri et j’y reviendrai encore et encore…
WonderMômes a écrit
Que de belles photos, je pense que si un jour je fais un périple en Italie, j’irai visiter Naples comme les autres grandes villes du pays pour me faire ma propre idée
Maman raconte a écrit
Et j’espère que tu ne seras pas déçue !
Mitchka a écrit
super article ! nous devions aller à Naples à la Toussaint, puis le temps de valider les congés et les billets s’étaient envolés … nous sommes partis en Corse du coup ! mais c’est un gros gros regret, j’espère y allait vite 🙂
nb : une partie de ma famille est italienne, et moi aussi quand j’arrive là bas, j’ai l’impression d’être de retour à la maison !!
Lucie-Rose a écrit
Désolée de ma réponse tardive mais je ne découvre qu’aujourd’hui ce commentaire qui m’avais échappé ! Merci en tout cas du compliment. Naples inspire rarement des sentiments mitigés. J’espère donc que vous ne serez pas déçus le jour où vous la découvrirez ! Et puis Naples n’est qu’un début car la côte amalfitaine recèle beaucoup de trésors que personnellement je ne me lasse pas de voir et revoir. J’aurais tellement à écrire sur le sujet… Ah quand on a du sang italien (en ce qui me concerne, trois de mes quatre grands-parents étaient italiens), l’Italie reste notre refuge, le plus bel endroit au monde !
Bibliblogueuse a écrit
Merci pour ce bel article. Je suis une folle d’Italie où je suis allée à maintes reprises. Tes photos de Naples sont très belles et donnent envie d’y retourner !
Lucie-Rose a écrit
Merci ! Je suis toujours heureuse de rencontrer des fans d’Italie. Je vais essayer de publier plus d’articles sur mon si beau pays…
Madame a écrit
Les vieilles rues napolitaines avec le linge qui sèchent entre deux façades me rappellent Bastia, je ne connais pas Naples, j’ai récemment lu L’amie prodigieuse et vu Gomora (ok mauvais exemple) mais nous irons un jour… Nous retournons en Toscane, je ne m’en lasse pas avant d’aller chez moi à Bastia ♥ Et tout comme Naples ce n’est pas la ville la plus populaire mais elle est tellement authentique…
Lucie-Rose a écrit
Ah la Corse ! Je ne ne connais pas Bastia, je ne suis allée que de l’autre côté de l’île mais je m’y suis sentie aussi bien qu’en Italie, ce qui signifie tellement venant de moi…