Depuis que Lutin est né, les occasions de sorties se sont raréfiées. Mais samedi dernier faisait exception à la règle car j’avais rendez-vous avec Nabucco de Verdi au théâtre antique d’Orange pour une soirée d’exception.
Les nuits d’été, Orange accueille les Chorégies, un festival d’art Lyrique très populaire. Il y a alors, le temps d’une représentation, une communion entre le public et les artistes d’une intensité si rare qu’elle envoûterait le plus néophyte d’entre nous. Sans doute la magie du lieu n’est-elle pas étrangère à l’affaire. En tout cas, c’est toujours avec beaucoup d’émotion que j’investis ce lieu rempli d’une histoire vieille de deux mille ans. On se sent tout petit devant ce chef d’œuvre construit sous le règne de l’empereur Auguste. Le très pompeux roi soleil lui-même s’était ému de cet antique théâtre, murmurant comme pour lui-même « C’est la plus belle muraille de mon royaume ». Et ce n’est pas l’inaltérable statue d’Auguste nichée au creux du mur acoustique qui dira le contraire…
Bref, samedi le temps s’est figé sous le ciel étoilé de Provence. Et malgré les bourrasques d’un mistral qui n’aidait pas toujours les envolées lyriques, me voilà happée trois heures durant par l’histoire d’un Nabucco qui avait fait la gloire du jeune Verdi lors de sa création à la Scala de Milan en 1842.
Nous sommes les temps bibliques, en 586 avant Jésus-Christ, entre Jérusalem et Babylone. Nabuchodonosor, roi de Babylone, a triomphé des Hébreux à Jérusalem, déportant les juifs dans son royaume. Evidemment, l’amour et la jalousie se mêlent à la politique pour pimenter l’affaire et éviter que le public ne s’endorme. Abigaïlle et Fenena, les deux filles de Nabucco, aiment le même homme : Ismaël, le beau neveu du roi de Jérusalem [enfin, que l’on imagine être beau car en vrai, les barytons ont souvent une bedaine généreuse, proportionnelle au coffre de leur voix]. Ismaël [l’ennemi de papa] aime aussi la jolie Fenena. L’imprudente s’étant faite capturer par les juifs, Ismaël a même trahi sa patrie pour la sauver d’un coup mortel. C’est beau, c’est romantique à souhaits ! Ces deux là auraient pu filer le parfait amour si Abigaïlle n’avait décidé de jouer les troubles fête. [Et oui, je vous rappelle que Les feux de l’Amour, c’est par ici !]. Comble de malchance, la vilaine découvre qu’elle est en réalité fille de modestes esclaves. Alors pour venger son amour propre blessé, elle planifie de s’emparer du trône. Et elle y arrive après une série de péripéties où Nabucco sombre dans la folie en s’autoproclamant Dieu [rien que ça !] et où Fenena, convertie au judaïsme, décide de libérer les juifs, ce qui excite la colère du peuple assyrien. La voilà donc reine… Mais seulement pour un giorno di regno. Car Nabucco emprisonné revient à la raison, fait appel à Dieu, est libéré par miracle [on est dans un oratorio ou on ne l’est pas], délivre sa fille Fenena promise au supplice et reconquiert le trône. Happy end, tout le monde est content, sauf la bad girl Abigaille qui s’empoisonne et meurt après avoir demandé pardon pour ses crimes.
Dans cet opéra, Verdi réserve ses plus fougueuses envolées au peuple hébreu : dans le célèbre chœur « Va pensiero » résonnent les accents pleins d’espoir d’une Italie aspirant, elle aussi, à la liberté et à l’unité. Sur les rives de l’Euphrate les Hébreux, vaincus et prisonniers, se rappellent avec nostalgie et douleur leur chère patrie disparue. Les Italiens considèrent ce chant comme leur hymne officieux, et qui a bien failli à plusieurs reprise devenir leur hymne officiel. Il incarne la résistance contre l’occupation autrichienne en Lombardie et Vénétie lors du Risorgimento. Bref ce magnifique chant est empreint d’un passé politique très fort. En vrai, croyez-moi, ça donne la chair de poule. Depuis, il ne cesse d’ailleurs de trotter dans ma tête…
Laisser un commentaire